"Du local au global" - intervention de Jean-Michel Morer, référent numérique de l'APVF

Conférence donnée dans le cadre du deuxième atelier DataCités, à Poitiers, le 7 juin 2019.

Jean-Michel Morer est maire de Trilport, VP Pays de Meaux, référent numérique de l'Association des Petites Villes de France (APVF).

APVF : 1200 collectivités de 2500 à 5000 habitants, regroupées pour développer une force de proposition. A proposé un questionnaire /prototype de maturité des petites villes, (ensuite développé plutôt par la Poste) : Dématérialisation, Communication, Médiation, Sécurité numérique.

Comment le numérique modifie-t-il les modes de faire au sein de petites collectivités ? Comment appréhender ces changements ?

Deux questions centrales dans le témoignage de Jean-Michel Morer, qui est revenu sur ce qui distingue les petites villes en termes de développement et stratégie numérique, les transformations qu’elles doivent intégrer et les outils qui ont été développés pour les accompagner dans ce but. Recueil.

Quand on parle de petite ville, il est important de planter le décor, pour se rendre compte qu’on ne parle pas des mêmes territoires et des mêmes contextes. On parle ici principalement de l’expérience de la ville de Trilport (5000 habitants), dans un contexte de la petite ville à côté de la grande (Meaux - 50 000 habitants). Pour les petites villes, il n’y a rien de pire qu’un nain qui se prend pour un géant. Les petites villes sont intéressantes en ceci qu'elles ont conscience de leur taille et peuvent avancer à leur rythme, de manière logique et cohérente.

Quand on a peu de moyens, il faut avoir beaucoup d’idées et éviter les mauvaises idées (qui peuvent coûter très cher). Avant de s'engager, il est nécessaire d’avoir une vue globale sur le numérique. Parfois, il faut attendre que l’outil soit mieux développé et en retarder l'adoption plutôt que de se lancer tête baissée dans des développements coûteux.

La ville de Trilport est adhérente à l’association Villes Internet (voir son atlas, qui répertorie toutes les actions engagées par les villes adhérentes). L’association distribue des “arobases”, selon quatre grands axes d’évaluation : démocratie et services publics, vivre ensemble, partage des connaissances, création de richesses. Ces 4 axes permettent aux villes de s’emparer des sujets en fonction de leurs compétences.

Quelques considérations à prendre en compte sur les modes d’organisation des collectivités des petites villes, dans un monde qui évolue, notamment sous l’effet de la révolution numérique :

  • On peut déjà constater un lien fort entre le type d'organisation, la méthode qu'on développe et le monde dans lequel on vit. On est dans une conception de la société (notamment en termes de décentralisation) qui ne correspond pas aux enjeux actuels. Le triangle est une métaphore de l’organisation territoriale (arêtes qui ferment comme autant de frontières entre des territoires qui devraient davantage se parler ; organisation “pyramidale” qui empêche de lier terrain et prise de décision). On peut aussi mobiliser l’exemple des poupées russes qui représentent cette hiérarchie ainsi que les silos qui existent d’une strate territoriale à l’autre.

  • A propos de la gestion territoriale : on a traditionnellement utilisé la méthode analytique de Descartes, basée sur la découpe d’un problème en sous problèmes. Or, on voit qu’on ne peut plus penser par petits problèmes. C'est l'heure de la métamorphose, décrite par Edgar Morin. La méthode rationnelle de Descartes ne fonctionne plus, la grille d’analyse a changé, parce qu'on est entré dans une société complexe.

  • Une autre approche à intégrer c'est celle d'écosystème, liée à la notion de métabolisme. Il appartient aux territoires de développer et maîtriser des interactions, qui s'affranchissent de plus en plus des périmètres et de la barrière des compétences. L'agilité est un enjeu d'existence même pour les petites villes qui, si elles ne sont pas agiles, décroissent ou meurent. S'adapter c'est, intégrer des aléas.

Intégrer ces aléas ne veut pas dire tout accepter : on est dans un moment clé où tout va de plus en plus vite, mais ça ne veut pas dire qu'il faut suivre ce rythme : maîtriser l’accélération n’est pas forcément accélérer. Il faut s’accorder des moments de décélération. Il faut résister aux exigences de l’Etat, qui pousse l’accélération, par exemple dans le temps de réponse aux citoyens. Or, si la question de l'usager n'engage que l'usager, la réponse du maire engage la collectivité, il est important de prendre le temps de la réflexion. Les élus (à travers les assos d'élus) doivent faire savoir à l’Etat qu’il y a besoin d’un temps de traitement par la collectivité de la demande citoyenne. La réponse ne peut pas et ne doit pas être immédiate. Pour avoir une réponse intelligible et crédible, il faut avoir le temps de la formuler. La multitude attend des réponses simples. Or, c'est compliqué de produire cette réponse. La cohérence d’une réponse ne dépend pas d’une seule brique maintenant. elle induit une expertise multiple et la capacité à travailler par équipes pluridisciplinaires.

Les collectivités doivent également gérer le déferlement numérique et les enjeux éthiques et de sécurité associés :

  • Au delà de l’outil, la donnée est un élément clé auquel il faut acculturer et sensibiliser les citoyens, il faut adapter les métiers (notamment des médiateurs numériques) à ce changement. La responsabilité incombe aux collectivités territoriales.

  • La souveraineté numérique est fragile. Or, ces enjeux (domiciliation ferme de données, régulation transfert de données, choix des opérateurs) dépassent les utilisateurs, dont la collectivité fait partie.

  • Maintenant, tout se fait sur smartphone, la stratégie numérique des collectivités doit intégrer le nomadisme, une question qui n’est pas réglée dans les petites villes. Les petites collectivités ne se soucient pas encore de réseaux sociaux ou des applications adaptées au smartphone. Peu de collectivités ont intégré ces choses, or le smartphone est de plus en plus la clé d'entrée.

  • La technicité se dissout auprès de l’utilisateur final, qui n’est pas capable de voir la complexité nécessaire pour faire fonctionner le système ; les assistants virtuels ne demandent aucune compétence particulière pour les maîtriser.

  • D'autre part, des utilisateurs sont exclus des démarches administratives. Il faut donc un recours à des médiateurs sociaux, qui ont accès à leurs données (ce que Dominique Pasquier décrit comme la Double peine de l’utilisateur des plateformes d’accès au droit). Mais il faut également sécuriser la situation des agents qui accompagnent, et qui peuvent se mettre en illégalité (vis à vis du RGPD) car ils ont accès aux données pour aider les usagers.

Le RGPD représente une révolution balbutiante, un chantier prioritaire pour les collectivités. Beaucoup d’entres elles ont déjà désigné un DPO, mais cela ne suffit pas. Nous avons eu plusieurs choix pour choisir les personnes qui allaient travailler sur ces questions :

  • en interne, ce n’est pas optimal car la personne doit pouvoir être externe pour mieux travailler et identifier ce qui ne fonctionne pas.

  • les sociétés privées spécialisées n’ont pas prouvé leur efficacité.

  • Nous nous sommes donc reliés à appel d'offre d'une intercommunalité, qui a sélectionné une association ayant un vrai savoir faire et une culture du territoire.

Last updated